Booba : du sang des risques et du son, ma définition

Quelques heures seulement après la sortie de son ultime album « Ultra », le moins qu’on puisse dire est que la légende vivante du rap français tient la raposphère sous haute tension. Loin de l’idée de courber l’échine et de partir en paix, le Duc de Boulogne tient à laisser une emprunte bien marquée de son passage dans le rap game en s’adonnant plus que jamais à l’un de ses passe-temps favoris : le clash. Stratégie marketing, réelles rancœurs ou simple amusement, cette tradition ne date pas d’hier pour le pirate du 92i qui cumule 10 albums solo .

Pas moins de 27 ans donc après sa première apparition officielle sur une compilation rap (voir §2.), Booba a bien l’intention d’asseoir une nouvelle fois sa notoriété dans ce qu’il considère être une grande cour de récréation avant de tirer sa révérence. À l’occasion de la sortie de son 10e et dernier album solo, revenons sur les grandes étapes de son parcours qui ont fait de lui l’un des rappeurs francophones les plus écoutés de tous les temps.

1. « Pousser comme une ortie parmi les roses»

Le 9 décembre 1976, à Boulogne Billancourt dans la banlieue ouest de Paris, une certaine Lucie Borsenberger donne naissance au petit Élie Yaffa, qui se fera plus tard appeler Booba en hommage à l’un de ses cousins du Sénégal, nommé Boubakar. Il grandira modestement avec ses deux parents dans un quartier des Hauts de Seine, avant que ceux-ci ne divorcent et qu’il parte avec sa mère s’installer dans le Sud du pays. À l’âge de 15 ans, dans le cadre d’un échange scolaire il part vivre 1 an à Détroit, ou il découvrira par lui-même la culture américaine qui l’influencera, lui et sa plume tout au long de sa carrière.

À son retour en France, il finit ses années de Lycéen et traîne dans les rues du quartier du pont de Sèvres toujours dans le 92, parmi la jeunesse exclue de la « France d’en-haut (les roses) », où il cultivera peu à peu sa haine anti-flic. Il y fera ses premiers pas dans le monde du hip-hop, notamment aux côtés d’autres artistes de la région tels qu’ LIM, Dany Dan et Les Sages poètes de la Rue, le collectif Beat de Boul, … d’abord en tant que danseur avant de se lancer dans l’écriture au début des années ‘90.

2. « Le bitume avec une plume »

Le Booba que l’on connait tous aujourd’hui en tant que rappeur naît donc dans le début des années ’90 et fait ses premiers pas de manière peu commune. Alors qu’il est en stage au magasin hip-hop Tikaret pour son BEP vente, il se retrouve du haut de ses 17 ans dans la cave du shop, qui y avait installé un studio, à poser son premier couplet aux côtés de ses collègues de La Cliqua, Moda et Dan, qui travaillaient ensemble sur la compilation « Sortir du tunnel » enregistrée en 1994.

Alors membre du collectif La Cliqua, il décida de s’en émanciper avec son ami Ali (avec qui ils formaient le duo Lunatic) et rejoignent tous les deux le label et collectif de rappeurs Beat de Boul. Suite à une mésentente avec plusieurs membres du label, une bagarre éclate sur un quai de métro entre l’un d’eux et Booba (les prémices d’Orly ?), qui quitte alors le label et intègre, toujours avec Ali, le label Time Bomb représenté par les X men, Oxmo Puccino, Pitt Bacardi, et d’autres grosses pointures. Ils écrivent alors le morceau « Le crime paie » qui forgera leur réputation avant d’enchaîner divers freestyles et apparitions musicales leur conférant une réelle notoriété dans le milieu.

A cette époque-là, les banlieues commencent à s’élever et à brûler partout en France en réponse à la ségrégation sociale à laquelle fait face la jeunesse des cités, étouffée par la discrimination. Les violences policières se font de plus en plus abondante et le rap devient alors le premier moyen d’expression de ces jeunes des banlieues que l’on n’écoutait pas jusqu’à présent, contraints de répondre à la violence par la violence. Les rappeurs en deviennent donc les porte-paroles mais aussi les nouveaux boucs émissaires des médias. C’est un réel tournant politique que prend le hip hop en France, qui devient de plus en plus engagé. Si les Lunatic revendiquent ne pas être les messagers de cette population, leurs textes retranscrivant en grandes lignes leur quotidien, leur vécu et leurs expériences de la rue, relatent de ce fait la réalité à laquelle ils sont exposés eux et leur entourage.

3. «18 août ’98, dans cette putain de maison d’arrêt »

Dans tout ce contexte de tension et de révolution, le jeune Élie, alors âgé de 22 ans ne figure pas parmi les plus sages de la classe. Ses faits de délinquance lui auront valu, en 1998, une première peine de 4 ans d’enfermement à Bois d’Arcy pour avoir braqué un taxi. Sur ces quatre années qui lui sont assignées, il sortira au bout de 18 mois pour bonne conduite. Durant sa détention, il écrit plusieurs morceaux qui figureront sur l’album de Lunatic « Mauvais œil », à ce jour l’un des plus grands classiques du rap français. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment « La lettre », écrit sous le schéma d’une correspondance entre Ali, qui lui explique la vie à l’extérieur, l’engouement des maisons de disque qui signent de plus en plus de rappeurs (ce qui n’était nullement le cas avant son incarcération) et Booba qui lui décrit son mode de vie pénible en prison. Cet album deviendra le tout premier album indépendant français à être certifié disque d’or (+100 000 ventes).

18 mois, c’est également le temps qu’il lui aura fallu pour écrire son premier, et aujourd’hui cultissime album solo « Temps mort ». Cet album, lui aussi certifié disque d’or en quelques mois seulement, lui permettra d’élargir son publique car ses tracks seront largement diffusées en radio. Comme quoi, le crime aura fini par payer. À sa sortie, Booba commence donc à réellement peser dans le hip hop, mais ce n’est pas pour autant qu’il se calmera dans la rue. Impliqué dans une bagarre en discothèque qui se finit en fusillade, il sera accusé par plusieurs témoins d’avoir blessé l’un des protagonistes par balle. Il niera avoir tiré ces coups de feu et sera finalement libéré de sa détention provisoire. Plus tard, il fera un nouveau séjour de courte durée en prison, cette fois à Nanterre, où il purgera aux côtés de certains de ses fans, mais également de moins bons amis (le frère de Rhoff, avec qui il était déjà en conflit, par exemple).

4. « Détrôner le duc restera du jamais vu »

En parallèle à tous ces méfaits, Booba s’est désormais fait un nom dans le monde du rap. En 2004 sort son deuxième album solo, « Panthéon », qui sera lui aussi certifié disque d’or. Entre 2004 et 2012, il sortira un album tous les 2 ans qui s’écouleront tous à au moins 100 000 exemplaires, au plus grand plaisir du 92i, son label crée en 1999. Il bat également plusieurs records en France, notamment celui du plus grand nombre de vente d’une mixtape, mais aussi du plus de ventes d’une réédition grâce à « Futur 2.0 » qui atteindra les 19 000 ventes en une semaine seulement. L’un de ses plus gros trophées sera celui du plus gros nombre de ventes digitales en France, toutes catégories musicales confondues que les Daft Punk viendront lui enlever en 2013. Durant ces années et ses nombreux albums et singles sortis, il collabore avec tous les plus grands noms du milieu, aussi bien en France qu’aux États-Unis ou il part s’installer avec ses enfants et sa femme, sans pour autant oublier son royaume.

En 2017, alors que l’ourson aux plus de 100kg pèse désormais plusieurs millions d’Euros, notamment grâce à sa marque de vêtements qu’il a récemment arrêtée et sa nouvelle marque de whiskey « D.U.C », il frappe un nouveau coup et vient confirmer sa place d’héritier sur le trône en sortant un album du même nom qui aura l’effet d’un missile dans l’industrie musicale internationale. Les 13 titres de cet opus n’occuperont ni plus ni moins que les 13 premières places des classements Deezer, Spotify et Apple Music, ne laissant plus aucune chance à ses concurrents. Moins de 5 mois plus tard, l’album est triple disque de platine et continue sa route vers les 500 000 ventes, laissant un terrain plus que préparé à l’arrivée d’Ultra.

Comme si cela ne suffisait pas à assurer l’arrivée de son nouveau bébé, B2O a dévoilé en novembre dernier le morceau teaser de l’album, « 5g », qui est venu prendre (une fois de plus) la première place du Top France Spotify, alors monopolisée par Jul et sa bande organisée depuis le mois d’août. Ce titre est ainsi venu ajouter un nouveau record à son palmarès, le hissant en 176e position du classement MONDIAL Spotify avec quelques 792 697 streams en… 24h. Autant dire que l’attente se fait sentir et que l’ultime œuvre du rappeur aux innombrables certifications promet de gravir de nouveaux sommets. Plus récemment, dans le cadre de la promotion de l’album, il s’est livré à plusieurs interviews dans lesquelles il revient sur son passé d’artiste, tout ce qu’il aura accompli durant sa carrière, laissant paraître une certaine fierté à l’idée d’avoir fait décoller la carrière de nombreux rappeurs passés par le 92i. Il a également avoué ne pas encore avoir dit son dernier mot, affirmant qu’après l’album, d’autres singles/featurings resteraient à venir, comme si même la 5g ne pourrait finalement pas l’arrêter.

Bien que l’ex-membre des Lunatic ne fasse aujourd’hui pas l’unanimité entre ses fans actuels et les plus puristes tristes de ne pas retrouver en lui le poète qu’il était autrefois, il s’est incontestablement hissé au sommet du rap français.

Avec son dernier projet, qu’il estime audacieusement atteindre les 80 000 ventes rien qu’en streaming, le Duc semble s’ennuyer depuis sa villa à Miami. Lui qui a toujours aimé dire haut et fort ce qu’il pensait de ses rivaux, aussi bien sur les réseaux que dans ses chansons, s’en donne à cœur joie.

La liste de ses adversaires s’est fort allongée depuis ses premières embrouilles avec le rappeur Fabe en 1997, Sinik, Rohff et certains de ces conflits, prenant en général naissance sur les réseaux, ont parfois dégénéré dans la vie réelle. Outre la violente bagarre entre son équipe et celle de son meilleur ennemi Kaaris qui s’est soldée en coups de coude et de bouteilles de parfums à Orly, le Duczer s’est vu plusieurs fois devenir la cible de partisans de ses rivaux, ce qui lui aura valu l’annulation de plusieurs shows à cause de menaces qui pesaient dessus. Toutefois, bien que certaines répercutions aient eu lieu dans sa vie privée et professionnelle, cela ne l’a jamais empêché de vendre ses disques, bien au contraire ça lui aura même servi de stratégie marketing plutôt efficace et il continuera de faire parler de lui sur les 4 coins du net, et ce plus que jamais depuis l’annonce de son dernier album.

Et voilà, c’est fini. Enfin, dans quatorze morceaux précisément. La bataille finale de Booba se conclut dès aujourd’hui, dans ULTRA, vendu comme le dernier album de sa carrière. Après une promotion tumultueuse, entre suspension d’Instagram, clashs houleux et direction artistique imperceptible, cet ultime tableau se révèle comme un monument de la scène rap française. Et pour cause, ULTRA se doit de conclure une discographie initiée il y a près de 20 ans. Il y a même 19 ans, un mois et 13 jours précisément.

Par Diego Brival

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